Et la rétention de sûreté dans tout ça ?

Publié le par Emmanuelle Colombani

Peu désireuse de m'engouffrer dans la question sans m'être préalablement convenablement informée, et avoir pris le temps de la réflexion, je m'intéresse enfin au projet de loi relatif, notamment, à la rétention de sûreté.

Je n'aborderai pas ici les critiques concernant les aspects -incontestables malheureusement- "bricolage et usine à gaz juridique" du texte tel qu'il a été présenté en première lecture à l'Assemblée Nationale les 8 et 9 janvier derniers. En effet, ces aspects sont complexes à appréhender pour des non juristes et intéressent essentiellement le travail parlementaire pour les réformer le cas échéant. Cela n'est pas mon propos dans ces pages !

Non, c'est sur le plan des principes que je me maintiendrai. Car il est bon de les rappeler et de constater que ce sont eux qui tiennent notre édifice juridique, sans quoi on finit inexorablement par s'asseoir dessus ...

On a pu voir relatés dans la presse les excès verbaux de certain(e)s (Elisabeth Guigou et sa référence à l'Allemagne nazie ...), le rigorisme qualifié d'excessif, d'opportuniste et d'oublieux de ses propres défauts de certains autres (Robert Badinter), l'allégeance qui paraissait de circonstance d'autres encore (Philippe Bilger, Avocat général près la Cour d'Appel de Paris) ... 

Que peut-on retirer de notable à mon sens de tout ce qui a été dit :

- La critique de Robert Badinter s'en tient au principe-même du texte, et je dois bien avouer qu'elle a ma faveur. J'ai le plus profond respect pour Monsieur Badinter et pour ce qu'il a accompli durant sa longue carrière. Cela ne m'empêche cependant pas, et ici-même à plusieurs reprises, de déplorer souvent l'un de ses pires travers politiques : une certaine malhonnêteté intellectuelle qui, si elle fait mouche dans son discours, n'élève pas l'homme qu'il est. Pourtant, là, je suis en phase avec les principes qu'il rappelle et auxquels il conseille de ne pas déroger.

Il a publié à ce sujet un article très didactique qui a le mérite de replacer le débat dans le cadre qui doit être le sien : les grands principes juridiques qui régissent notre droit depuis la Révolution française. "Parce que l'être humain est réputé doué de raison", nous dit-il, "il est déclaré responsable de ses actes". Qu'il viole la loi, et il devra en répondre devant des juges indépendants, et subira s'il est déclaré coupable, la peine prévue par la loi. C'est parce que ce principe existe que nous vivons dans un Etat fondé sur la liberté.

Or le projet de loi prévoit de maintenir enfermé (et non pas emprisonné), un individu au-delà de la peine à laquelle il aura été condamné et qu'il aura purgée, s'il est considéré comme potentiellement dangereux. Ce projet ne concernerait selon le texte en l'état où il a été présenté, que les auteurs de meurtres, assassinats, viols, actes de torture et de barbarie commis sur mineur âgé de 15 ans ou moins.

Robert Badinter considère que le lien entre l'infraction commise et l'emprisonnement de son auteur disparaît. L'auteur sera en effet maintenu enfermé dans un "centre socio-médico-judiciaire de sûreté", et non en prison. Avec la loi nouvelle, ce lien est rompu puisque en l'absence de nouvelle infraction (et la peine ayant été purgée), un diagnostic psychiatrique de "dangerosité" pourra conduire à maintenir indéfiniment un individu enfermé, par une succession de mesures de un an renouvelables sans fin.

Même si des voies de recours en appel et en cassation sont prévues, ce qui est bien entendu le cas, Robert Badinter s'en tient au principe selon lequel pour être frappé d'une peine, quelle qu'elle soit, encore faut-il avoir commis une infraction ... et ne pas être considéré uniquement, même si on a déjà fauté, comme "potentiellement dangereux". De plus par qui et sur quels critères ... Seront-ce les mêmes psychiatres que ceux d'Outreau qui seront requis pour évaluer les probabilités, ceux-là même qui rendaient "des expertises de femme de ménage" parce qu'ils étaient payés "comme des femmes de ménage" ... ? Au surplus, il évoque avec une certaine raison me semble-t-il qu'il sera difficile d'envisager, pour un détenu, de travailler sur sa réinsertion, d'effectuer le travail sur soi nécessaire, s'il n'est même certain d'être à nouveau libre un jour ...

Il voit dans l'atteinte à ce principe un accroissement de ce qu'il appelle "une justice de sûreté" au détriment d'une justice de responsabilité, garante de la liberté individuelle.

- de l'autre côté, on trouve par exemple Philippe Bilger (et Maître Eolas) qui, lui, oppose à cette liberté individuelle, la "saugegarde d'une majorité qui n'a que le tort de n'avoir pas encore été offensée": il faudrait veiller à ne pas léser la société dans son ensemble en voulant à toute force préserver la liberté de quelques uns, "fatalement voués au crime tant leur ressort intime et leurs pulsions les y conduiraient, comme malgré eux" (sic). Il souligne, peut-être d'ailleurs avec raison, que cette mesure ne concernerait qu'une dizaine de cas en France ... il n'y aurait donc pas matière à évoquer la violation des grands et sacro-saints principes.

A ce stade de la réflexion, il convient d'évacuer les propos, excessifs, tenus par Elisabeth Guigou à l'Assemblée Nationale, propos qui ont soulevé la colère des parlementaires UMP et du premier d'entre eux en particulier, Jean-François Coppé : "Vous choisissez Lombroso et son "homme criminel". Or vous le savez, c'est cette philosophie positiviste qui a conduit aux pires débordements de l'Allemagne nazie". Bien évidemment cet excès verbal est regrettable, et même si leur auteur a tenté ensuite de leur donner une autre apparence, par une explication de texte, ils n'ont pas grandi le débat.

Pourtant, sans aller aussi loin, il y avait matière me semble-t-il à porter une réflexion plus nuancée mais aussi plus inquiétante sur le même sujet : quand Maître Eolas me dit que "en l'état actuel du texte, le risque de voir une personne injustement retenue semble particulièrement faible", je serais volontiers tentée de lui répondre que, en 1941, quand l'Etat français a devancé les demandes allemandes en exigeant des juifs le port de l'étoile jaune, qui, même parmi les juifs, pouvait imaginer les conséquences qui en découleraient ...

Les principes sont faits pour s'y tenir. En la matière, c'est soit tout blanc, soit tout noir. Il ne peut y avoir de zone grise sans quoi c'est le début de l'atteinte aux libertés fondamentales, c'est le début d'un possible arbitraire. Quand Maître Eolas me dit que la mesure ne saurait concerner que ceux pour qui "la probabilité de réitération sera particulièrement élevée", et que lui, Avocat, sera là pour y veiller ... je serais tentée de lui répondre que, malheureusement, quand on porte atteinte à de tels principes, rien ne garantit que quelqu'un, dans le futur, ne portera pas lui atteinte à un autre principe, celui des droits de la défense ...

Jouer avec les principes, c'est jouer avec le feu. Pourquoi s'y risquer alors qu'il existe une solution, juridiquement tout a fait acceptable, pour éviter de recourir à une autre forme d'enfermement après la prison : c'est tout simplement de prononcer des peines réellement à durée illimitée. Ce que l'on appelle encore "prison à perpétuité" et qui, actuellement, en France, est le plus souvent assorti de la mention "avec une peine de sûreté de 20 ans (par exemple)", ce qui précise que le condamné "à perpétuité" ne pourra sortir avant une durée de 20 ans ... ce qui signifie bien qu'il sortira un jour, malgré tout ... On me répondra que la prison n'est pas le lieu du soin, et que la peine ne se conçoit comme châtiment individuel (et non seulement comme réparation et expiation envers la société) que si elle est accompagnée d'un espoir de réinsertion. Certes. Alors dans ce cas, mettons les moyens pour une véritable politique de soins psychiatriques, et surtout déclarons irresponsables pénalement ceux qui, manifestement, ne sont pas en possession de toutes leurs facultés d'êtres humains, et que l'on traîne trop souvent devant les tribunaux pour y servir d'exemple et permettre l'indemnisation et la réparation du préjudice des victimes. Je ne dénie pas le droit à réparation des victimes, mais ce n'est pas en jugeant les fous et en les déclarant responsables pénalement de leurs actes que l'on purgera la société de tels individus. Il n'y a aucune vertu d'exemple en la matière, puisque les comportements ne sont pas, par nature, situés dans le domaine de la "raison".

... Mais je m'égare, la responsabilité pénale des fous, c'est encore un autre débat. Il est pour bientôt.

Publié dans Actualité politique

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