Le point sur la législation française en matière de violences domestiques

Publié le par Emmanuelle Colombani

La lutte contre les violences faites aux femmes, et en particulier les violences domestiques, est depuis de nombreuses années maintenant une priorité des gouvernements qui se sont succédés.
A cet égard, la France dispose d’une législation déjà fournie en la matière, même si elle est parfois « éparpillée » dans des textes très divers, qui rendent parfois son application malaisée et surtout le contrôle de cette application difficile. Les aspects budgétaires sont également primordiaux et difficiles à appréhender. Voilà des points qui restent à améliorer notablement dans notre pays.
 
Mais faisons tout d’abord un bref rappel de l’état des lieux législatif tel qu’il existe actuellement.
 
1) En matière de pénalisation de la violence domestique comme de reconnaissance de la circonstance aggravante ou de viol marital
 
-         Le Code Pénal, dans son article 222-13-6 tel que modifié en 1994 fait mention pour la première fois d’un délit spécifique de violences et de peines aggravées quand elles sont commises par un conjoint ou un concubin.
-         Les premières lois permettant d’encadrer et de renforcer les droits des victimes remontent à juin 2000, novembre 2001 et mars 2004 notamment.
-         Mais c’est à partir de la loi nouvelle régissant le divorce le 26 mai 2004 que sont intervenues de véritables mesures de fond. En effet cette loi est la première à prévoir l’éviction du conjoint violent du domicile conjugal. Rappelons qu’auparavant c’était toujours à la femme victime accompagnée de ses enfants de quitter son domicile pour trouver hébergement dans des structures d’accueil précaires.
-         La loi du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive étend l’éviction de l’auteur des violences au concubin, alors que la précédente loi ne parlait que du conjoint ; rend cette éviction possible à tous les stades de la procédure ; et prévoit éventuellement pour lui une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique, le tout n’étant pas uniquement de l’éloigner mais également de lui faire prendre conscience réellement de la gravité de ses actes et de lui apporter des soins le cas échéant. Cette nécessité de prendre en charge l’auteur des violences est réaffirmée dans le cadre du plan triennal 2008-2010 qui prévoit de prévenir la récidive des violences conjugales par un dispositif global d’intervention auprès des auteurs : évaluation des mesures d’éviction telles que déjà votées ; réalisation d’une « Charte de prise en charge » des auteurs de violence, afin d’uniformiser les actions ; diffusion de documents d’information et de sensibilisation dans les mairies , les commissariats ; développement d’un accompagnement psychosocial ou d’une prise en charge thérapeutique selon les cas. Je soulignerai à cette occasion l’excellent travail d’étude et de conseil mené par le Docteur Roland Coutanceau depuis 2004 en la matière.
-         Enfin, la grande loi du 4 avril 2006 est entièrement consacrée à la prévention et à la répression des violences au sein du couple et commises sur des mineurs.
Dans son article 2 elle ajoute la notion de RESPECT aux droits et devoirs des époux ; dans son article 7 elle consacre la circonstance aggravante que constitue la perpétration de la violence par un partenaire ; et elle étend cette circonstance aggravante, du conjoint et du concubin au Pacsé et à l’ex-compagnon dans son article 8.
Un certain nombre d’infractions étaient déjà visées avant cette loi par la circonstance aggravante : acte de torture, de barbarie, violences ayant entraîné la mort, ou des mutilations ou infirmités temporaires ou définitives.
La loi du 4 avril 2006 étend la circonstance aggravante à de nouvelles infractions : meurtre, agressions sexuelles, et surtout elle introduit dans le Code Pénal français la notion de VIOL MARITAL dans ses articles 10 et 11.
L’article 12 de la loi étend lui l’éloignement du partenaire violent aux auteurs de violences Pacsés ou ayant le statut d’ex-compagnon, et ce à tous les stades de la procédure judiciaire.
- d’autres lois prévoient dans leur dispositif des mesures qui peuvent concerner les femmes victimes de violences : c’est notamment le cas de la loi du 30 décembre 2004 créant la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité), qui traite en particulier des discriminations et violences de toutes sortes basées sur le sexe de la victime.
2) Concernant les centres d’accueil et d’hébergement d’urgence 
Des lieux d’accueil sont présents sur tout le territoire français, métropolitain et en Outre-Mer. Ils ont fait l’objet d’une démarche-qualité en 2002. Les victimes peuvent y rencontrer tous types de spécialistes, être informées, et recevoir une aide en faveur de l’insertion ou de la réinsertion. S’agissant d’une démarche de conseil, qui doit nécessairement se distinguer de l’information pure et simple, il conviendrait encore d’améliorer les choses. En effet, on peut parfois observer des personnels de ces structures d’accueil qui se livrent, en toute bonne foi et pour rendre service, à des actes de conseil, notamment juridique, alors qu’ils n’en ont pas les compétences. Les droits des victimes peuvent ainsi s’en trouver lésés ou à tout le moins compromis en terme de délai et d’efficacité, ce qui est le contraire de l’objectif souhaité au départ. Il conviendrait peut-être de clarifier les chose au sein des structures d’accueil afin de bien séparer l’information qui peut être réalisée par tous, du conseil qui devrait demeurer l’œuvre des spécialistes du domaine (personnels administratifs de l’Etat, magistrats et avocats).
L’action des travailleurs sociaux et des acteurs de terrain est indispensable et constitue le maillage essentiel de la prise en charge des victimes sur l’ensemble du territoire. Dans mon département, la Charente-Maritime, je tiens une nouvelle fois à saluer l’action de l’association Les Combôts-Tremplin 17, interlocuteur fédérateur majeur dans ce département, et aussi sur le plan national et international, puisqu’elle est souvent requise pour présenter son expérience exceptionnelle et son mode de fonctionnement, servant d’exemple à l’étranger. Cette association a notamment créé une brochure d’information très complète qui reprend en 5 points très simples l’essentiel à savoir pour une victime : qu’est-ce que la violence conjugale, quel est son processus, que faire, quelles sont les démarches habituelles, quelles peuvent être les aides immédiates.
L’association a réussi à fédérer autour d’elle l’ensemble des acteurs de terrain, les personnels de gendarmerie et de police, les magistrats, de façon à tenir un discours uniforme, à mener des actions intégrées dans un même processus d’aide, sans renvoi inutile, sans démarche répétées. C’est un exemple à suivre.
Le plan d’action triennal 2008-2010 tend également à renforcer ce maillage de terrain et à développer la coopération nationale et régionale entre acteurs publics, travailleurs sociaux et acteurs de terrain. Notamment en menant des actions de formation des professionnels afin de les mobiliser sur un meilleur repérage des cas de violence et en confortant les dispositifs d’accompagnement des victimes.
En 2006, 4 500 femmes ont bénéficié en France d’un accueil d’urgence. Il faudrait 4 fois plus de places.
3) Concernant la garantie d’un accès à la justice et à des mesures de protection 
Le 23 novembre 2005, le Ministère de la Cohésion sociale et de la Parité avait présenté un premier plan de communication et d’action dans le cadre de la campagne « Stop violence – Agir c’est le dire », qui regroupait l’ensemble des actions permettant la prise en charge, la protection et les soins pouvant être apportés aux victimes.
Dans le cadre de campagnes d’information fortes et très bien relayées au plan médiatique (presse écrite, télévisée, réalisation de clips dédiés au sujet et diffusés à des heures de grande écoute), la France a mis en place le 14 mars dernier un numéro d’appel unique destiné aux violences domestiques, le 3919, dans le cadre d’une communication efficace. Rappelons-nous ce clip vidéo choc, nous présentant un paysage serein accompagné de la voix d’une femme décrivant le calvaire des violences conjugales subies, puis indiquant sur un ton soulagé que maintenant c’était fini … et se terminant sur une pierre tombale.
Ce numéro a été submergé d’appels les premiers jours suivant sa mise en service pour s’équilibrer après un premier bilan à une centaine d’appels par jour. Un personnel formé et compétent est à l’écoute et au conseil des victimes, de leur entourage ou même des auteurs. Au mois d’août dernier, 8 antennes décentralisées du 3919 ont été ouvertes en province, de façon à rapprocher les victimes des acteurs de terrain vers lesquels se rapprocher. En effet l’éloignement rendait le conseil parfois difficile, aucun écoutant ne pouvant être formé et documenté sur ce qui existe sur l’ensemble du territoire national.
Le plan triennal 2008-2010 accorde une place prépondérante au respect de l’image de la femme dans les médias, à la sensibilisation de la société dans son ensemble pour mieux combattre et prévenir les violences, notamment auprès du jeune public et jusque dans les établissements scolaires, dans les lieux de vie et auprès des femmes issues de l’immigration.
En matière d’accès à la justice, on sait que l’interlocuteur premier des victimes est le représentant des forces de l’ordre, policier ou gendarme, vers lequel elles devront en premier lieu déposer plainte.
C’est pourquoi la formation de ces personnels est essentielle pour éviter que l’action de la victime ne s’éteigne d’elle-même. Par le passé trop souvent les violences domestiques étaient reléguées par les policiers au rang d’avatar ordinaire de la vie de couple, et les plaintes ou mains-courantes des victimes n’aboutissaient jamais sur le bureau d’un juge. Les choses sont en bonne voie d’amélioration, mais le Président de la République Nicolas Sarkozy a souhaité rappeler cette priorité à Madame Alliot-Marie dans le cadre de la lettre de mission qu’il lui a adressée en septembre dernier : il lui indique que l’amélioration de l’accueil et du soutien est primordiale, pour tous les centres de police ou de gendarmerie. Il prévoit également un suivi régulier de l’application de ces mesures, et rappelle que les garde-à-vue doivent s’organiser dans le respect de la dignité de la personne.
Le Président Sarkozy, d’ailleurs, à l’époque où il était Ministre de l’Intérieur, avait initié un vaste plan en novembre 2004, de dix mesures phares pour faciliter la prise en charge des victimes et l’information sur le problème.
4) Concernant l’affectation des ressources budgétaires nécessaires à la mise en œuvre des mesures votées
Pour une part non négligeable, les crédits affectés à notre cause sont « dilués » au sein de divers ministères et au milieu d’actions plus globales, de telle sorte qu’il est difficile de se faire une idée précise des sommes consacrées en France à la lutte contre les violences faites aux femmes.
Parlons d’abord du plus facilement quantifiable : le budget propre à l’action tel qu’on peut le retrouver au sein du budget de la solidarité, de l’insertion et de l’égalité des chances. Il fait l’objet d’un programme, au sens de la Loi de Finances, le programme « Egalité Hommes-Femmes ». A ce titre il fait l’objet d’une dotation de 11.10 millions d’euros, stable par rapport à l’année précédente. Il est destiné au fonctionnement du 3919 et aux associations d’aide et centres d’information. Bien sûr sont comprises dans ce budget les dépenses de fonctionnement, de personnels, de locaux de ces intervenants.
Pour le reste, on retrouve des sommes généralement bien modestes dans une dizaine de ministères, mais ces sommes ne sont pas individualisées en fonction des objectifs précis, elles concernent aussi bien l’égalité professionnelle que la lutte contre les violences, et là, impossible d’accéder facilement à la répartition. Pour exemple, le budget de la justice comporte cette année une ligne budgétaire de 50 000 euros pour « l’égalité en droit et en dignité » : programme peu parleur et faiblement doté qui plus est ! Mais l’on nous dira, d’ailleurs avec raison, que l’action des personnels judiciaires ou pénitentiaires est régulièrement consacrée aux victimes et aux auteurs de violences domestiques, sans qu’il soit besoin de différencier ces actions en terme budgétaire…
Mais la lutte contre les violences bénéficie également de financements croisés : national, régional, local, et européen. Pour exemple, sur l’Ile de La Réunion, un programme d’hébergement des victimes au sein de familles d’accueil et non dans des foyers a été mis en place notamment au moyen de fonds européens issus du programme « Equal ». Les collectivités locales sont également très actives sur le terrain et aident les associations dans la mesure de leurs possibilités.
Si j’ai un souhait à formuler pour une prochaine évolution législative ou réglementaire, ce serait celui de voir regroupés, même a posteriori, dans un document unique l’ensemble des crédits dégagés en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes, spécifiquement, par l’Etat central, les collectivités territoriales et l’Europe.
5) Pour en terminer, j’accorderai un temps de réflexion au sujet primordial de l’évaluation et de l’application des mesures votées
En effet, et notamment en France, on trouve souvent que l’on légifère trop, et mal qui plus est. Ce n’est pas totalement faux, et la raison en est souvent l’absence de retour sur l’application des mesures votées. Bien souvent on demande la mise en place d’une nouvelle loi ou un nouvel article, et on s’aperçoit qu’il ou elle existe déjà … mais n’est pas appliquée, ou l’est mal.
A cet égard, la loi du 4 avril 2006 prévoyait dans son article 13 l’information du Parlement et l’évaluation de la politique menée ainsi que le dépôt tous les deux ans d’un rapport gouvernemental concernant ces domaines sur le Bureau du Parlement.
Le recul n’est pas encore suffisant pour que nous détenions ce type de rapports ; toutefois, dès les 23 janvier 2007, dans le cadre d’une question orale avec débat posée au Sénat par ma Collègue ici-présente Madame Gisèle Gauthier, Présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances, nous faisions un point sur ces mesures votées et sur la nécessité éventuelle de les compléter.
La Ministre en charge du dossier apportait des chiffres précis et des informations particulières sur certains domaines :
-         création de permanences d’associations dans 130 commissariats et groupements de gendarmerie
-         des décembre 2005 une centaine d’officiers de gendarmerie avaient bénéficié d’une formation spécifique
-         distribution de 10 000 exemplaires d’un guide de l’action publique
-         le nombre de condamnations pour violences conjugales est passé de 7537 en 2002 à 9 767 en 2005
-         385 mesures d’éloignement du compagnon ont été prises en 2005
-         création à l’Ecole Nationale de la Magistrature d’un module spécifique en formation initiale de sensibilisation au problème
-         collaboration avec l’Observatoire National de l’Enfance en Danger
-         prise de mesures pour faciliter l’hébergement et l’accueil d’urgence, notamment par des partenariats locaux, avec des hôtels notamment
-         les femmes victimes de violences sont rendues prioritaires dans l’attribution de logements sociaux
-         tournage de courts-métrages destinés à être diffusés à la télévision, au cinéma etc …
 
Nous le voyons donc, l’évaluation de l’application des mesures votées est nécessaire et indispensable au contrôle de notre action. La France, de ce point de vue, peut encore fournir des efforts, car le contrôle parlementaire, s’il est prévu dans notre Constitution, n’est pas automatique ni traditionnel.
Essayons d’abord d’appliquer l’ensemble de notre législation existante, de façon uniforme sur l’ensemble de notre territoire, avant de nous engager sur la voie de nouvelles réformes. Certaines sont pourtant nécessaires, comme par exemple une meilleure prise en compte des violences psychologiques, pour ne parler que de cela.
Je noterai que les partis de gauche viennent, à l’initiative de Huguette Bello, Député de La Réunion, de déposer sur le Bureau de l’Assemblée Nationale une proposition de loi-cadre destiné à prendre en charge le problème des violences faites aux femmes.
Certes l’intention est louable, mais malheureusement la réalisation pêche beaucoup, puisque cette proposition n’est constituée qu’un seul article qui demande le vote d’une loi-cadre dans un délai de deux ans … Pieuses intentions, mais peu de mise en œuvre effective dans cette proposition…
Le Gouvernement français a bien pris la mesure, me semble-t-il, de l’importance du phénomène des violences faites aux femmes. Son plan triennal 2008-2010 est intéressant, mais il pourrait aller plus loin, notamment en ce qui concerne les éléments budgétaires et ceux de contrôle de l’application des mesures votées.
 
Pour conclure, je terminerai par les dernières mesures prévues dans le plan triennal 2008-2010 que je n’aurais pas encore évoquées : le recueil et l’analyse de données statistiques et l’amélioration et la compréhension du phénomène des violences conjugales, et la prise en compte de l’impact des violences sur les enfants qui s’y trouvent confrontés.
Cet état des lieux est tiré d'une allocution prononcée le 28 novembre dernier par le Sénateur Jean-Guy Branger, parlementaire français référent dans le cadre de la Campagne du Conseil de l'Europe sur la lutte contre les violences domestiques.
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Y
J'ai un  ami proche qui s'est fait battre et maltraité par sa copine pendant trois ans...Est ce que la parité existe aussi dans ce cas là ?<br />  
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E
Le terme "parité" est impropre en l'occurrence, puisque c'est environ 2% des hommes qui sont concernés contre 98% de femmes. Mais la loi parle de "conjoint" sans distinction, donc elle prend bien en compte le problème des violences exercées par les femmes à l'encontre de leur compagnon. Toutefois sur les plus de 100 morts par an en France, on ne compte pas d'homme.