Dernière ligne droite : à quoi ressemble-t-elle ?

Publié le par Emmanuelle Colombani

Plus que jamais le troisième homme, Bayrou, le pivot de cette fin de campagne, celui qui, selon ses propres propos "fera tomber le vieux mur de Berlin qui séparait la France entre droite et gauche" ?

Ou bien l'otage -involontaire, consentant, inconscient ?- d'un camp qui, constatant de plus en plus ouvertement le possible échec de sa porte-voix, cherche coûte que coûte une position de repli lui permettant de "rester dans la course" ... ?

Bien difficile de trancher.

Pourtant ... Bayrou, à la proposition de Rocard, de Kouchner, et maintenant d'Allègre (tous personnages omni-absents de la campagne de Ségolène Royal, remarquons-le) choisit de répondre non pour ce qui concerne un accord avant le premier tour. Il avance des noms de politiques de gauche comme de droite laissant clairement penser que derrière ces omni-absents se profilent des tout juste présents de poids, puisqu'il cite à plusieurs reprises DSK ou Borloo ...

Il rappelle certains de ses fondamentaux ... dont quelques-uns me laissent perplexe : le chômage, la baisse du pouvoir d'achat, l'exclusion, proviennent de l'opposition droite/gauche, rien que cela !

Parce qu'aucune décision importante ne serait prise par aucun camp, les uns étant d'accord et les autres pas .... je n'ai pourtant pas l'impression que l'opposition gauche-droite ait empêché les 35 heures, la mise en place du RMI, la réforme des retraites et celle de la sécu, pour ne parler que d'elles  ... Dans notre régime, quand un gouvernement dispose d'une majorité, il parvient, peu ou prou, à faire passer ses réformes, pour autant qu'il fasse preuve de courage politique et ne craigne pas systématiquement la vindicte populaire, et sache expliquer ses réformes, ce qu'on ne sait pas toujours faire, à droite comme à gauche ... et en l'occurrence, je ne pense pas que François Bayrou soit orfèvre en la matière, puisqu'il n'a jamais réussi à faire entendre au SNES les bienfaits de sa réforme de l'enseignement privé ... et qu'il a eu une telle force de persuasion que pour le reste de son ministère il n'a plus rien proposé ni fait ...

Mais c'est le passé. Peut-être François Bayrou aussi a-t-il "changé".

Quand on lui parle de majorité avec qui gouverner, il avance en terrain découvert à présent : les législatives devront permettre des candidatures communes et, sinon, des accords de désistement au second tour ... j'imagine la tête de tous les candidats, de droite comme de gauche, déjà investis et déjà en campagne ... il va falloir leur expliquer doctement les bienfaits de la chute du mur de Berlin français ...

Il dit clairement être en accord total avec les propos de Michel Rocard selon lequel "rien ne sépare plus désormais les sociaux-démocrates et les démocrates-sociaux" ... pourtant il refuse de considérer dans ces conditions le 1er tour de l'élection présidentielle comme une primaire de centre-gauche, indiquant qu'il refuse de revenir dans la notion de "camp" ...

Mais bon sang, quand on regarde son programme, et celui de Ségolène Royal, on perçoit nettement des différences, pourtant ? Celui de Bayrou comporte un nombre très important de mesures identiques à celles de l'UMP, alors que je n'en vois pas de communes avec celles du PS ...

Voudrait-il maintenant nous donner à penser que l'on doit, au matin du 1er tour, s'affranchir pour voter, des programmes UDF et socialiste, et simplement se positionner sur la volonté de rassemblement qui les animerait ? mais un rassemblement autour de quoi , s'il n'y a plus de programme ?

Et pourquoi dans ce cas ne pas s'affranchir également des programmes pour les autres candidats, notamment pour Sarkozy ? Lui aussi a indiqué qu'il souhaitait un gouvernement de rassemblement, un gouvernement d'ouverture au centre, lui a clairement dit qu'il en parlerait APRES l'élection présidentielle depuis des semaines ... et même si je regrette et j'estime extrêmement maladroit et préjudiciable à la fin de campagne le fourvoiement de Sarkozy dans des sphères pseudo-philosophiques d'une part éloignées du débat politique et d'autre part trop éloignées de son "fonds culturel" pour qu'il y soit crédible, je crois sincèrement que ce serait lui faire gravement offense que d'y voir une volonté d'ouverture vers Le Pen ...

J'approuve totalement son désir de ramener dans la "droite républicaine" les électeurs frontistes qui sont regroupés autour de seules exaspérations ou désirs d'allumer une alerte forte sur des problèmes que les politiques ont toujours souhaité laisser de côté de crainte d'aller au casse-pipe électoral ou intellectuel ... ces électeurs-là ne peuvent sincèrement être confondus avec la poignée de personnes qui, dans chaque pays d'Europe, sont regroupés dans des partis d'extrême droite qui culminent à moins de 10% de suffrages ... Pourquoi la France voit-elle se chiffre augmenter ? parce qu'aucun parti démocratique n'a accepté de prendre le risque politique de s'emparer des problèmes et de regarder en face notre modèle d'immigration et d'intégration. Parce qu'en terme de pourcentage de la population, la France est un des pays d'immigration la plus massive, et la moins régulée. C'est en laissant à chaque échéance électorale sur le bas-côté de la démocratie ces électeurs frontistes qu'on a préparé le ralliement d'un nombre encore plus important pour la suivante. Il est temps que cela s'arrête, y compris pour notre démocratie. Si ces électeurs-là, et nous en connaissons tous autour de nous, y compris à gauche, même s'il est plus difficile de l'avouer, reviennent dans le jeu de la véritable démocratie, de droite comme de gauche, alors c'est une victoire.

C'est une fumisterie intellectuelle de fin de campagne que d'oser prétendre que Sarkozy aurait un intérêt à dériver vers le Front National en terme d'alliance future. Il n'y a que le Canard Enchaîné pour se livrer à une farce pareille ... quel intérêt y aurait-il, Sarkozy ? celui de passer de 30% d'intentions de vote à moins de 10 ? La plupart des adhérents de l'UMP eux-mêmes, moi la première, voteraient contre lui ! Celui, s'il était élu dans de telles conditions, ce qui est non seulement hypothétique mais carrément impossible, de voir une majorité qui lui serait hostile à 80% s'installer à l'Assemblée Nationale ? Celui de mettre 5 ou 6 ou 10 millions de français dans les rues ?

Allons, arrêtons ces stupidités qui ne grandissent pas la campagne électorale ... si l'on veut mériter la confiance, l'estime et le respect des électeurs, il faut se montrer respectable et estimable soi-même ... Arrêtons de prendre les électeurs pour des c..s que l'on peut manipuler à loisir et à qui on peut faire croire n'importe quelle baliverne électoraliste à 5 jours du scrutin ...

Revenons aux vrais débats, aux vrais thèmes de campagne, aux réels enjeux économique, sociaux et politiques, du scrutin. Et, n'en déplaise à François Bayrou, aux différences qui opposent les programmes, même si l'on garde en ligne de mire une nécessité de se rassembler in fine sur un "mieux-disant" général. Cette campagne était montée haut en terme de vision et d'enjeux, ne permettons pas qu'elle redescende dans les basfonds de la politique.

La France ne mérite pas cela. Ses électeurs non plus.

Publié dans Actualité politique

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