Raymond Barre et Maurice Papon

Publié le par Emmanuelle Colombani

Déjà diffusé le 6 mars 2007

NDR : depuis l'état de santé de Raymond Barre, dont on n'a plus connaissance dans l'actualité d'ailleurs, ne lui a pas permis de réapparaître sur le devant de la scène ...

Vive polémique après les propos de Raymond Barre sur Maurice Papon, tenus dans l'émission de Raphaël Enthoven sur France Culture "Le rendez-vous des politiques" diffusée jeudi 1er mars.

Quels sont exactement ces propos ?

Interrogé sur le fait d'avoir nommé Ministre du budget Maurice Papon de 1978 à 1981, Raymond Barre a commencé par dire que Monsieur Papon était "un grand commis de l'Etat', UDR modéré, susceptible d'être compatible avec le nouveau RPR.

Il indique ensuite qu'à l'époque il n'était pas au courant des actions particulières menées par Maurice Papon pendant la Seconde Guerre mondiale. Il rappelle que l'affaire a été dévoilée en 1981. Poussé plus loin par son interlocuteur, Raymond Barre s'interroge sur l'attitude des fonctionnaires sous Vichy; auraient-ils dû démissionner, abondonner leurs responsabilités ? Ou rester pour essayer de "limiter la casse" (SIC) et de préparer l'avènement de la République qui allait suivre ? Raymond Barre persiste et dit qu'un fonctionnaire ne doit démissionner que "quand il s'agit vraiment d'un intérêt national majeur, ce qui n'était pas le cas car il fallait faire fonctionner la France " (SIC). Son interlocuteur essaie de rattraper le coup et de lui faire dire que Papon aurait pu démissionner : là encore Raymond Barre insiste : non, il ne s'agissait pas d'un intérêt national majeur. Il indique d'ailleurs que beaucoup de fonctionnaires en place ont fait en sorte de limiter les persécutions des juifs et déclare que la France est le pays dans lequel il y a eu le plus de juifs sauvés ...

Quant au devenir de ces fonctionnaires à la Libération, Raymond Barre rappelle que ceux qui s'étaient trop manifestés dans les voies de la collaboration ont été envoyés par le Général de Gaulle en Allemagne, gérer la partie qui revenait à l'administration de la France; il s'agissait de fonctionnaires de qualité (SIC) qui ont ainsi continué à servir la France sur le plan international. Pour les autres, dont Maurice Papon par exemple, ils ont été sciemment maintenus en place par le Général de Gaulle : en effet il fallait bien continuer à faire fonctionner la France, et le nombre de fonctionnaires ayant collaboré était tel qu'il n'était pas possible de se passer de leurs services (NDR : c'était aussi un question d'unité nationale, le pays, pour se reconstruire, ne pouvait définitivement exclure plus de la moitié de sa population; la guerre était terminée, les comptes purgés - pour 40 ans seulement - il fallait que tout le monde travaille ensemble dans le même but : redresser le pays. J'ai mis longtemps à comprendre cette vision: elle m'a été expliquée par une grande résistante, qui était une des figures de proue de la libération de Marseille et qui figure dans un ouvrage du Maréchal de Lattre de Tassigny auprès duquel elle a combattu, Simone Sarrola; elle-même approuvait cette continuation de l'Etat avec le même personnel que sous Vichy, c'était selon elle une nécessité absolue, bien comprise par le Général de Gaulle).

Par la suite, Raymond Barre comprend que le cours de l'entretien est en train de déraper et, fidèle à l'attitude entêtée qu'il a toujours manifestée dans l'expression de son opinion, il en rajoute : il lui est égal, déclare-t-il, de passer pour un négationniste ou un antisémite. Il souligne qu'à Bordeaux, lors du procès de Maurice Papon, deux personnes ont témoigné en sa faveur : lui-même et Olivier Guichard, qu'on ne peut taxer d'aucun de ces qualificatifs. Lorsqu'on lui indique que Maurice Papon, récemment, a dit qu'il ne regrettait rien de ce qu'il avait fait, et qu'il le referait dans les mêmes conditions, il ne se prononce par négativement sur cette absence de regret, et même, il la justifie: Papon avait été "dans l'obligation, soit du fait de Vichy, soit du fait des autorités allemandes, de se livrer à des actes répréhensibles". Raymond Barre termine seulement en disant qu'il aurait dû dire que ce qui avait été fait sous son autorité était quand même regrettable, et qu'il l'avait fait parce qu'il pensait que c'était son devoir de le faire. Il souligne que Maurice Papon était un fonctionnaire et n'était tout simplement pas du genre à dire "je regrette". Comme lui-même certainement.

Poursuivant dans la dérive de l'entretien, un journaliste revient sur deux séries de propos tenus par Raymond Barre. Celui concernant l'attentat de la rue Copernic, qui visait une synagogue et toucha deux passant non juifs qui marchaient dans la rue à ce moment-là : il avait parlé de cet attentat qui "visait des juifs et qui toucha 2 français innocents" : une fois encore il justifie ses mots en expliquant qu'il ne portait pas de jugement sur la culpabilité des juifs en parlant des français innocents, mais constatait simplement que l'attentat visait à toucher des juifs, considérés comme coupables par ses auteurs, et qu'il n'avait touché que des français non juifs, donc innocents de ce dont les criminels accusaient leur cible ... Puis le journaliste revint sur Bruno Gollnisch, puisque Raymond Barre avait déclaré à son propos que c'était "quelqu'un de bien" (SIC). Bien sûr le journaliste rappela les propos négationnistes et révionnistes de Bruno Gollnisch ... et Raymond Barre indiqua que l'opinion qu'il avait exprimée sur Gollnisch était liée à son comportement au sein du Conseil Municipal de Lyon dont il était le Maire à l'époque; il s'était toujours bien comporté. Pour autant, il blâmait les propos tenus par Monsieur Gollnisch, mais ils étaient si fréquents qu'il finissait par ne plus s'en émouvoir. Pour le reste, chacun était libre "d'avoir son opinion".

Voilà pour cette partie polémique de l'entretien.

Quelques réflexions :

- n'étant pas une fidèle auditrice de France Culture (je l'ai déjà indiqué, c'est trop intello pour moi, ou tout au moins trop réputé comme tel pour que je m'y aventure volontairement), je ne sais pas si c'est l'habitude sur cette antenne de ne pas réllement mener l'interview et de la laisser dériver, sans que le journaliste cherche à recadrer ou à rectifier des erreurs ou des omissions manifestes ... je ne pense toutefois pas que ce soit le cas, car je constate qu'il y a des noms chez les journalistes de France Culture, qui ne correspondent pas du tout à ce type d'attitude ... Je serais donc plutôt encline à en conclure que Raphaël Enthoven, s'il peut être considéré par ses pairs comme un bon philosophe, n'est en tous cas ni un bon journaliste ni un historien calé, ou bien qu'il est très impressionnable ... mais je le juge tout à fait coupable de n'avoir jamais pris la parole pour réllement appuyer, en restant courtois, cela n'était pas impossible, sur les problèmes soulevés par les propos de Raymond Barre. Je n'en citerai que deux parmi les plus criants : lorsque Raymond Barre indique que Maurice Papon était un haut fonctionnaire sous Vichy chargé de "faire fonctionner la France" et donc devant à ce titre "assumer ses responsabilités et ne pas démissionner", il AURAIT DÛ lui demander en quoi le poste occupé par Maurice Papon à la Préfecture de la Gironde : "Secrétaire Général chargé des questions juives", était un poste crucial pour la fonctionnement des institutions française et pour la préparation de l'avènement de la future République ... Je doute que Raymond Barre ait pu y apporter une réponse crédible. IL AURAIT DÛ également, faire le parallèle avec Jean Moulin, Préfet d'Eure et Loir, qui a refusé de mentir et d'accuser une troupe de tirailleurs d'avoir commis des atrocités alors que les victimes avaient été tuées par des bombardements. D'autre part, lorsqu'il indique que "chacun est libre d'avoir son opinion" à propos de Gollnisch, la plus élémentaire des décences IMPOSAIT de faire remarquer à Raymond Barre que ce type d'opinions relevait du Code pénal depuis maintenant longtemps. Vraiment, Raphaël Enthoven doit se muscler en histoire, en courage et en professionnalisme. Ou s'en tenir à la seule philosophie.

- sur le fond des propos tenus par Raymond Barre : bien sur il n'en est pas à son coup d'essai, chacun se souvient de son "travail, famille, patrie" particulièrement malheureux ...

Qu'en conclure ? Que Raymond Barre est un indécrottable antisémite négationniste ? Peut-être ... je pense que comme beaucoup de français, ainsi que le montre le comportement de nos compatriotes, et je ne parle pas là de nos compatriotes d'origine immigrée mais des français de souche, il a au fond de lui une crainte irraisonnée du lobby juif (dont il parle abondamment) et qu'il traine des relents antisémites en lui, encore qu'il s'en défende et indique avoir été toujours soutenu par Raymond Aron (ce qui est d'ailleurs vrai). Mais bien davantage, je pense que Monsieur Barre, et avec le temps ça ne s'arrange pas, a toujours eu une langue acérée, exaltant en principe absolu sa liberté d'expression, quitte à dire n'importe quoi ... C'est un homme d'un autre âge, plus encore que d'un autre siècle; il n'est qu'à l'écouter : toutes les références qu'il donne, toutes les personnes qu'il cite, tout remonte à 40 ou 50 ans... il ne vit plus avec son temps, n'intègre ni les changements législatifs ni les modifications structurelles de la société française. Il n'est je crois pas accessible à cette évolution de nos mentalités et de notre histoire, il reste figé dans un passé qui était notre vérité il y a 30 ou 40 ans, ne l'oublions pas.

Doit-on pour autant ne pas l'écouter, jugeant son discours indigne d'être entendu ? Je crois, moi, qu'on peut l'écouter, en relevant, bien davantage que cela n'a été fait sur France Culture, mais cela c'est la responsabilité de cette radio, les erreurs ou les incongruités manifestes qu'il profère. Son discours est écoutable car il a correspondu un temps très long à la réalité de notre pays. Il n'est pas comme Papon en ce qu'il parle, il s'explique, il revendique ses propos, et en l'écoutant, on s'aperçoit qu'il en est de bon sens et de réels au sens de la vérité historique.

C'est aussi cela, la démocratie; ce n'est pas l'aristocratie du silence dans lequel on voudrait enfermer une parole dérangeante.

C'est aux journalistes ensuite de faire leur travail. Ce n'est pas en cachant ce type d'opinions qu'on permettra de relever leur inexactitude.

Et c'est pourquoi je regrette la décision de certaines radios, dont France Inter, d'annuler les entretiens qui devaient avoir lieu avec Raymond Barre ces prochains jours.

 

Publié dans Rediffusion de l'été

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