Ce soir à Pleyel, il y a Aldo Ciccolini ...

Aldo Ciccolini est l'un des hommes de ma vie, et personne, à part Gwénaëlle, ne le sait sans doute. Ah, si, un chef d'orchestre grenoblois, sur le blog de qui j'avais déjà raconté cette histoire, mais le blog (Le monde de Bra), n'existe plus, alors ...
J'avais 7 ou 8 ans, et c'était le premier concert d'interprète soliste auquel j'assistais.
Je ne jouais pas encore de musique. On n'en parlait même pas. Je ne me souviens même pas si, à cette époque, déjà, je fréquentais la petite fille de mon âge, Béatrice, qui, elle, avait commencé très tôt, et m'a permis d'affiner l'envie née ce jour-là ...
Pourtant, ce jour-là, à La Rochelle, un soir de semaine alors qu'il y avait école le lendemain, je m'en souviens très bien, j'ai décidé que je serais pianiste. Que je jouerais du piano. A la vue et à l'écoute de cet homme, Aldo Ciccolini.
Et je me souviens aussi que, dans les jours qui ont suivi, j'ai demandé à ma maîtresse la permission de lui remettre un "texte libre". Il s'appelait "Le pianiste". C'est tout ce dont je me rappelle. Le titre. Mais je donnerais une grosse poignée de mes souvenirs d'enfance pour pouvoir remettre la main dessus ... J'y retranscrivais parfaitement, avec mes mots, l'impression que cet homme avait produite sur moi, l'univers dans lequel il m'avait transportée, les sensations d'euphorie et de puissance qui étaient nées du spectacle de cet homme-là produisant ces sons-là, pour moi, juste pour moi, dans cette salle de concert.
Un fil s'était tendu entre nous, la communication passait par là, elle était totale, je comprenais chacun de ses gestes, chacune de ses notes, tout m'était paroles d'une langue que je parlais d'instinct.
Je crois encore ressentir dans ma poitrine les soulèvements d'enthousiasme et d'émotion qu'il avait fait naître, et qui ne m'ont jamais quittée.
C'est quelques mois plus tard que j'ai commencé l'étude de la musique, mes parents constatant que l'envie ne disparaissait pas.
Chez moi, il n'y avait pas d'argent. Mais ma mère adorait la musique, on écoutait des 33 tours de classique toute la journée, et mon père avait joué du violon, enfant, puis de la batterie, pour payer ses études. Ils étaient donc capables de comprendre.
Accéder à mon désir d'instrument fut plus difficile. Et mit davantage de temps. Le temps de se décider à prendre un crédit pour acheter ce piano, que nous étions allés choisir à Niort. Mais j'étais motivée et j'attendis. Un an, un an et demi, peut-être. Durant lesquels j'ai appris le solfège, et commencé l'étude du piano, mais sans piano chez moi. J'avais deux leçons par semaine chez mon professeur, Madame Lenouailles, que je regrette tant (10 ans cette année qu'elle nous a quittés ...). C'est chez elle que je jouais. Chez moi, je m'étais fabriqué un clavier de carton, avec toutes les touches, les blanches et les noires, et c'est sur cette longue bande que je posais sur la table de la salle à manger que j'ai fait mes premières gammes, la musique dans la tête. Ce n'est que des années plus tard que j'ai appris que Miguel Angel Estrella, durant ses années de prison, avait fait pareil, pour ne pas perdre le contact avec la musique ...
Aldo Ciccolini et moi, c'est une belle histoire d'amour. De celles qui durent toujours.
En mars il revient, comme chaque année. En mars, je serai à Pleyel pour le revoir, lui que je n'ai jamais revu.
Pourtant, ce soir, j'ai écouté Aldo Ciccolini sur un impromptu de Schubert ... et je n'ai pas aimé son interprétation ... ça m'a fichu un coup pour tout dire ... Mais non, je préfère définitivement David Fray dans cette pièce-là, et dans tout Schubert en particulier. Je trouve chez Fray une âme que je ne trouve pas ou qui ne me parle pas chez Ciccolini.
Mais demain je vais l'écouter dans d'autres auteurs, Satie, Ravel, Liszt, Albeniz, Massenet ...
Ce soir à Pleyel, il jouait, avec l'Orchestre de Paris, Takemitsu, Saint-Saens et Janàcek.
Danse n°5 de Granados
Et puis cet extrait d'un immense morceau, la Danse rituelle du feu, de Manuel de Falla ... parce que c'était cette année, au mois d'août. Aldo Ciccolini a 84 ans ...