Khadafi à Paris : entre "diplo-business" et diplomatie "du moins pire" ... ?

Publié le par Emmanuelle Colombani

Quelques phrases relevées ce matin, pour commencer ...

Rama Yade, Secrétaire d'Etat aux droits de l'homme :

"La France n'est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut s'essuyer les pieds du sang de ses forfaits. La France ne peut pas recevoir ce baiser de la mort. [...] La France ne peut pas être qu'une balance commerciale."

Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères :

"Je suis résigné à le recevoir. C'était une nécessité. Il faut à la fois continuer à réussir à imposer les droits de l'homme, à les proposer sans cesse, à être vigileant, et en même temps veiller à ce que les intérêts économiques de notre pays soient mis en avant. Et puis aussi il faut constater que la Libye a évolué. C'est la Libye de demain qui nous intéresse dans cette visite, pas celle d'hier, qui est entièrement condamnable, dont je n'oublie ni les victimes ni la propension au prosélytisme. [...] C'est difficile de militer pour les droits de l'homme et de faire en sorte que ceux qui ne les respectent pas le fassent. Depuis 2003 le Colonel Khadafi a renoncé au terrorisme et à la bombe atomique. Tous les pays européens se sont précipités bien avant nous pour commercer avec la Libye. La France mettait comme préalable la libération des infirmières bulgares. D'ailleurs les infirmières bulgares ne viennent pas à Paris aujourd'hui parce que ce serait trop difficile pour elles, mais elles ne critiquent pas la visite, elles le disent expressément, elles sont favorables à l'ouverture, il faut que la normalisation ait lieu. C'est une diplomatie de la réconciliation. [...] Je ne serai pas présent ce soir au dîner officiel, pour des raisons de calendrier européen. C'est un heureux hasard."

Bernard Guetta, chroniqueur de politique étrangère sur France Inter :

"Ce colonel que la France reçoit aujourd’hui est-il, donc, un homme totalement infréquentable ? Oui, au plus haut point, mais fallait-il, pour autant, ne pas le recevoir ? Là, la réponse devient moins évidente.  C’est un paradoxe mais il est bien plus paradoxal encore que le régime de ce colonel ne soit pas le seul au monde à pratiquer la torture, qu’elle soit, en fait, effroyablement répandue, que les Etats-Unis n’aient pas hésité à y recourir au nom de la lutte contre le terrorisme, que les pays démocratiques ne constituent qu’une minorité même si leur nombre s’est accru – bref, que nous ne vivions pas du tout dans un monde fréquentable. [...]  En démocratie, les partis, la presse, les élus peuvent dire ce qu’il faut dire d’un colonel Kadhafi. C’est même un devoir, mais un Etat, son gouvernement et son chef, ont d’autant plus de raisons, eux, de recevoir un tel personnage qu’il vaut mieux dresser une tente à l’hôtel Marigny que partir en guerre pour arracher à ce régime la libération des infirmières bulgares après avoir obtenu sa renonciation à l’arme nucléaire. Ce n’est pas réjouissant, pas du tout, mais la morale des relations internationales n’est qu’une question de moins pire."

Reviendrai-je davantage sur cette visite de Khadafi en France ? ... Après vous avoir entretenu tout l'été de mes colères à propos de l'attitude de notre Président ...

Les trois propos que je relate ici, je suis en total accord avec chacun d'eux. Je ne les juge pas contradictoires, ils sont simplement les diverses facettes de ce que je ressens au moment où cet homme s'apprête à fouler le sol de notre pays, ce qu'il n'a pas fait depuis 34 ans.

Dernière chose : je souhaite que Rama Yade puisse faire entendre sa voix, cette voix-là, de façon plus audible, et qu'elle ne soit pas en aucune manière "sanctionnée" pour cela. Sinon, à quoi cela servirait-il donc d'avoir nommé un Secrétaire d'Etat aux droits de l'homme ?

A pas davantage que d'avoir laissé Khadafi devenir le président de la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies en 2003, oui, je t'entends, Alexandre ...

Mais, finalement, Khadafi n'a t-il pas changé, depuis 2003 ... ?

Publié dans Actualité politique

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Y
Oui, tu en parles souvent mais souvent en lui trouvant des excuses valables mais jamais pour dire "là, M le Président, ce n'est pas possible" ..<br /> Bon grace à l'argent que la Lybie a reçue pour la libération des bulgarers, M Khadafi fait son marché..Cela aurait plus simple de lui donner des airbus, de la technologie militaire et une 'tite centrale nucléaire ??<br /> J'ai lu ton billet sur le voyage en Algérie
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E
Non, dans cet article sur l'Algérie je dis justement "je ne comprendrais pas qu'on ne clarifie pas les choses", "J'estime qu'il est allé trop loin" ... toutes phrases suffisamment explicites me semble-t-il. Et je répète qu'en matière de Lybie j'y ai consacré 6 ou 7 articles déjà, donc, pour l'heure, pas grand chose de plus à y ajouter que cela ...
Y
Khadafi a t il changé ? Il n'y a qu'a se rappeller ce qu'il a dit, il a peu sur le terrorisme....<br /> Mais pas un mot sur notre président, chère Emmanuelle..Est tu toujours aussi contente d'avoir voté pour lui ? <br /> Je termine par une citation de Woody Allen, à peine transformée par mes soins. : <br /> "Si dieux existe, j'espère qu'il a un bon "à Lybie"
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E
Il a dit que le terrorisme était l'arme des plus faibles ... ce n'est pas une de ses paroles les plus choquantes, ma foi. Pas une excuse, une explication possible.<br /> Quant à parler de notre Président, je l'ai fait à ce propos ainsi que rappelé tout au long de l'été et l'ai même cité dans cet article aujourd'hui. Qu'en dire de plus ?<br /> Je dis suffisamment ici quand je ne suis pas d'accord avec ses actes (et là, en l'occurence, mais j'accepte d'examiner le contexte), je dis aussi quand je le suis.<br /> Je ne regrette pas d'avoir voté pour lui ... parce que je n'ai qu'à imaginer Ségolène à sa place pour être prise d'un tremblement fiévreux et irrepressible ...<br /> Je regrette certains de ses actes, certaines de ses paroles, mais pas (encore) mon vote. Lucidité et regrets ne sont pas forcément synonymes.<br /> Et d'ailleurs j'en parle quand même assez souvent, de Sarkozy ... As-tu lu mon dernier billet sur son voyage en Algérie ?