Alain Finkielkraut a "la nostalgie de la démocratie comme aristocratie pour tous" ...

Publié le par Emmanuelle Colombani

Déjà diffusé le 8 février 2007

Un très intéressant échange de vues avec Nicolas Demorand , les auditeurs de France-Inter et l'intellectuel Alain Finkielkraut, accusé, comme si c'était une infamie, de s'apprêter à imiter ses "collègues" André Glucksmann et Pascal Bruckner en déclarant son soutien à Nicolas Sarkozy ! Tous ces ex soixante-huitards intellos de gauche qui se rallient au "réac" Sarko, ça décoiffe le PS ... !

Loin de vouloir rentrer dans la polémique, et de répondre comme s'il avait commis une faute à une question posée de façon détournée, Alain Finkielkraut s'est attaché à ne pas dévoiler quel serait son vote, et à affirmer qu'il ne soutiendrait officiellement personne. On a toutefois pu comprendre, si ce n'est pour qui il voterait exactement, au moins pour qui il ne voterait certainement pas, et quelles en étaient les raisons. Vraisemblablement, son vote se situera entre la droite et l'écologie ... disons plutôt que l'écologie était la voix du coeur, mais qu'elle se trouve à son sens mal représentée par Madame Voynet ... une fois dit cela, il ne reste plus que ... la droite ! Sarko ou Bayrou , là demeure la question !

Personnellement, ma toute petite culture me tient très éloignée des ondes de France ... Culture, et mon faible niveau en mathématiques et en sciences en général m'a pour toujours fermé les portes de Polytechnique et autres Collèges de France ... de plus j'ai tendance à fuir dès que j'entends prononcer le mot "intellectuel", fût-il de droite ou de gauche ... Mais là, comme il a été au centre de nombre de polémiques et que j'avais déjà parcouru certains de ses entretiens, je l'ai écouté, et bien m'en a pris.

J'en ai retiré quelques formules, que je retiendrai :

"Internet, cette grande citerne de la haine",

"Il y a une partie de la gauche intello pour laquelle la gauche est le parti du bien et la droite le parti de Pétain",

"Le PS pouvait choisir Mendès-France, une tradition d'exigence, il a choisi la tradition posturale et symbolique de Mitterrand",

"Ainsi que nous avait prévenu Albert Camus dans son discours du Nobel en 47, il ne s'agit plus de transformer le monde, mais d'essayer de sauver ce qui peut encore l'être",

"La liberté d'expression est une épreuve pour tout le monde; ce n'est pas la liberté de mon expression, mais la liberté de toutes les expressions",

"La gauche a complètement abandonné sa grande utopie fondatrice: la démocratie comme aristocratie universelle, idée extraordinaire. Antoine Vitez: un élitisme pour tous. L'anti-élitisme a tué tout cela. La gauche est responsable de ce climat de joyeux nihilisme, du tout est égal, tout est permis".

"Que la gauche relise Jaurès, au lieu de simplement s'approprier son nom, et qu'elle lise en particulier "L'histoire socialiste de la Révolution Française", il y déploie un véritable plaidoyer à la défense de Louis XVI, pourtant il n'était pas royaliste, mais c'était cela aussi, Jaurès",

"Ce n'est pas la tradition qui pèse sur le cerveau des vivants, ce sont des vivants sans bagages et sans passé qui prétendent faire la leçon à tout le monde".

En déhors de ces visions assez générales, il s'est également exprimé sur le fond de la campagne électorale et en particulier sur celle du PS et sur sa candidate.

Pour lui, la gauche est dans une sorte de coma. Elle dit "A bas la mondialisation, A bas le monde américain", mais quand la Chine soutient le Soudan, envahit l'Afrique, soutient le Zimbabwe, la gauche ne voit rien, car l'ennemi unique est l'Amérique ... et face à cet ennemi unique, elle n'a aucun problème de conscience politique avec le front Hu Jintao/Chavez/Ahmadinejad.

Pour Jaurès, pour Blum, aimer le peuple, c'était lui parler avec raffinement, avec culture, le conduire à s'élever ... Aujourd'hui, Ségolène Royal confond "esprit" et "spiritualité" ... (NDR : affaire Montebourg), et les gens pensent  qu'ainsi elle se rapproche du peuple. Alain Finkielkraut croit à une éminence, à une transcendance du Politique; la proximité avec les gens ne doit pas se faire sur l'oubli, l'ignorance, et le sacrifice de la culture et de la langue.

Le concept de "démocratie participative" ne répond pas à la crise de la démocratie française. C'est une crise de la représentation. Il faut donc rendre à la représentation son prestige et ses pouvoirs perdus. Il faut rendre au Parlement les pouvoirs qu'il n'a plus. Cette démocratie participative est du bluff puisque le programme existe déjà, elle n'existe que pour permettre à Madame Royal de faire assaut de démagogie et d'ignorance, comme dans sa volonté affichée de faire une loi sur les femmes battues, alors que cette loi existe déjà et qu'elle est appliquée. Il considère que la gauche aurait pu avoir un candidat dont les électeurs n'aient pas honte ... Quant à Dominique Voynet, quelle hérésie n'est-elle pas allée prononcer en se déclarant favorable au retrait de la vie politique des personnes âgées de plus de 60 ans ... Alain Finkielkraut se demande ce qu'il serait advenu de Churchill qui les avait largement dépassés et rappelle qu'Hitler, lui ne les avait pas atteints ...

Bref, depuis 1968, il reconnaît avoir vieilli, mûri; mais surtout, il sait qu'il ne peut passer sous les fourches caudines d'une opposition binaire "bonne gauche / droite pétainiste". Il reconnaît même peut-être critiquer tant la gauche par "dépit amoureux" ... Certes on peut être considérablement déçu par ceux dont on a tant attendu ...

Publié dans Rediffusion de l'été

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J
Manu,<br /> pendant ce temps il y a des enfants placés sans procédure contradictoire sur simple signalement aux services des Conseils Généraux!<br /> A te lire d'urgence!<br /> JL
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E
C'est vrai, mais là, Finki n'y peut rien ... et quant à moi je vais voir ce que je peux faire ...
D
Finkielkraut est l'un des (sinon le) plus brillants intellectuels français actuel. Il est surtout d'une rigueur morale parfaite.Demorand, en revanche, est une serpillière mal rincée (d'où les odeurs qu'il dégage).
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E
j'ai beaucoup regretté pour ma part le départ de Stéphane Paoli ...