Lettre de Guy Môquet, suite ...

Publié le par Emmanuelle Colombani

Tout symbole a ses limites, bien sûr ... et choisir un texte parmi d'autres fera toujours des mécontents, des phraseurs qui trouveront à redire sur le choix et sur le fait qu'il exclurait tous les autres ...

Mais pourquoi exclurait-il les autres ? Pourquoi ne serait-il pas seulement le premier ? Le prélude à une étude historique ? Celui qui pose les jalons d'une instruction civique, tout simplement ?

Au-delà de ces reproches, est-on certain de la réalité historique ? Qui détient la vérité ? Y a-t-il une seule vérité historique ? Cela a-t-il un sens, et lequel, d'examiner tout fait à la lumière de son éclairage actuel, celui dont on a connaissance maintenant, 60 ans après ? Cela empêche-t-il qu'on examine ces faits tels qu'ils ont été ressentis à leur époque, tels qu'ils se sont déroulés, et dans l'ambiance qui pouvait être celle de ces années-là ? Sans y voir la malice, souvent bien réelle, il est vrai, des décisions mémorielles qui ont pu se prendre plus tard, de la main-mise de certains sur des faits historiques qui, tournés à leur avantage, leur permettait d'échapper à la critique de la matérialité historique des faits ?

J'ai lu dans Le Monde daté du 24 juin une tribune de Jean-Marc Berlière (professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Boulogne) et Sylvain Boulouque (élève doctorant en histoire à l'Université de Reims), qui poursuivait le débat entamé le jour-même de l'investiture du Chef de l'Etat, quand il a décidé d'instaurer la lecture de la lettre de Guy Môquet à tous les lycéens en début d'année scolaire.

Ils y parlent "d'arrangements avec la réalité historique", de "valeurs contradictoires", de Guy Môquet comme d'un jeune homme ayant "baigné dans une culture politique bolchévique, porteur de la tradition familiale stalinienne", comme d'un suiveur de la ligne du PC, et non comme un résistant ... Il n'aurait d'ailleurs commis aucun attentat et se serait contenté de distribuer des tracts. Le PCF aurait depuis 1942 opéré une "récupération politique" de cette tragédie.

En somme on nous dépeint Guy Môquet comme avant toute chose un communiste pur et dur, un communiste d'AVANT la dénonciation du Pacte germano-soviétique, donc potentiellement d'un communiste collaborateur, puisque le PC n'était alors pas résistant et a accepté des tractations avec les autorités d'occupation pour permettre la reparution de son journal ...

En tout état de cause, Guy Môquet ne pourrait être le "résistant de la première heure" que l'on nous dépeint, puisque la résistance du PC aura commencé véritablement APRES sa mort, à l'été 41, puis par les premiers attentats en septembre et octobre 41, soit un an après l'arrestation de Guy Môquet.

On nous dit que le "mythe" Guy Môquet reposerait sur le génie d'Aragon, qui aurait su en faire un monument à la demande de Jacques Duclos. Et que le PC vivrait depuis lors sa pseudo-résistance sur les dépouilles de ses 27 jeunes fusillés qui n'étaient pas des résistants.

Certes. Je prends acte de la réalité historique. Les dates sont là, elles permettent cette analyse, matériellement.

Mais cette réalité historique permet-elle cependant d'aller aussi loin ? De supposer que l'action de Guy Môquet et de ses camarades ne s'inscrirait pas dans une ligne de résistance, puisque, étant communistes, ils n'auraient pu se sentir résistants à cette époque ?

Cette réalité permet-elle de supputer que Guy Môquet ne cherchait pas à nuire aux allemands dans ses actions ? Permet-elle de dire que, parce que son action s'inscrivait dans la ligne d'un parti qui n'avait pas dénoncé le Pacte germano-soviétique, cela lui retirait tout "brevet" ultérieur de résistance ?

Je ne le crois pas.

Aucun n'a survécu de ces 27 là. D'autres si. Se sont-ils tous arrangés sournoisement avec la réalité historique, eux aussi, pour s'être sentis résistants malgré tout ? Peut-on réellement supposer tout cela ? Déduire de ce que nous savons maintenant, 60 ans après, ce que pouvaient être les pensées et les ressorts d'action d'un jeune homme de 17 ans et de ses compagnons ?

Je ne le pense pas.

D'aucuns diront que Nicolas Sarkozy "s'est trompé et qu'il existe dans l'histoire de France de nombreux textes plus glorieux, et surtout plus porteurs de sens que la lettre d'un lycéen exalté fils des contorsions du parti communiste de l'époque" ...

Oui.

Ils s'interrogeront sur la légitimité que peut avoir un seul homme à choisir une lettre parmi tous les textes existant. Ils s'interrogeront même en filigrane sur son igniardise en matière de réalité historique.

Oui.

Mais ...

Publié dans Actualité politique

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