L'avis de Jacques Delors sur le Traité simplifié, ou Traité Réformateur
Entretien accordé à Jean-Pierre Elkabach, Europe 1 - lundi 25 juin
C'est un compromis réaliste, "à l'européenne", qui permet d'avancer de nouveau, mais comme toujours : un pas en avant, deux pas en arrière.
Ce marathon a démarré quand Angela Merkel a pris la Présidence européenne. Elle a fait le constat de la situation d'opposition sur la Consitution et choisi de faire un mandat précis pour avoir un traité nouveau, elle a réussi à le faire accepter, ce qui est tout à son honneur, même si aujourd'hui la presse allemande minimise ce succès.
La France est revenue dans l'Europe. Le "non" nous en avait écarté, de même que la politique européenne que nous menions avant : taper du poing sur la table en disant "c'est à prendre ou à laisser".
Le duo Merkel-Sarkozy a permis d'avancer, même si le résultat aurait pu être meilleur, mais continuer la période de crise insitutionnelle aurait été pire. Il y a un effet de cartharsis dans un accord qui va permettre au pays de s'entendre à nouveau.
Concernant les concessions aux polonais : entre 2014 et 2017, la Pologne pourra continuer à demander à ce que l'on vote toujours "à l'ancienne", selon le Traité de Nice. C'est un peu regrettable, car le nouveau traité est plus juste. Mais ce compromis de négociation était nécessaire pour parvenir à un accord à 27.
Concernant la Grande-Bretagne : on a toujours accordé beaucoup de dérogations à ce pays, ce n'est pas nouveau. Il y a des conceptions opposées sur l'avenir de l'Europe, et on ne veut pas trop en parler ...
Par rapport à ce qu'était la "Constitution" : on a enlevé la troisième partie, qui faisait blocage en France. Mais il y avait des choses importantes dedans, que l'on a remises ici. C'est un Traité non pas vraiment simplifié mais plutôt réformateur.
"La concurrence libre et non faussée" : Nicolas Sarkozy a fait retirer cette formule qui faisait débat en France. La Commission européenne doit comprendre le message : une politique de la concurrence doit tenir l'équilibre entre une concurrence loyale d'un côté et le souci de renforcer les champions européens de l'industrie de l'autre (par exemple en 1994 on a dû se battre pour que l'aide d'Etat soit accordée à Air France : maintenant c'est une des plus grandes compagnies du monde).
Les Services publics et leur défense : le protocole est satisfaisant, il tient compte de la subsidiarité et de la diversité des situations. Si un pays veut maintenir l'accès d'un Service public à tous ses citoyens, il doit pouvoir le faire d'une manière transparente, il ne peut y avoir une règle unique pour tous les pays.
Ce n'est pas une Europe libérale, c'est une Europe qui reconnaît l'économie de marché, ce que tous les Français devraient faire également. Mais cette économie de marché peut être encadrée, régulée, l'Etat a son rôle à jouer, l'Europe aussi. Mais tant qu'on est méfiant vis à vis de cette économie de marché, qu'on se paie des slogans dessus, on ne peut pas avancer ni résoudre les problèmes, même en France.
Le poids de l'Europe dans la mondialisation : il faut d'abord se mettre d'accord sur les négociations commerciales en cours. Et là il y a des divergences entre la France et les négociateurs. Et rétablir l'équilibre entre la monnaie et l'économie. La voix de l'Europe ne se fait pas entendre pour dénoncer le laisser-aller du déficit budgétaire américain, la baisse du dollar, et d'un autre côté le dumping monétaire fait par les japonais et les chinois.
Sans parler de la politique étrangère et de sécurité communes. Nos pays n'ont pas les mêmes vues dans ces matières, les mêmes orientations. J'avais proposé des actions communes de politique étrangère chaque fois que l'on était d'accord : c'était plus réaliste que de parler de politique étrangère commune !
Des projets communs peuvent-ils naître et se développer ? Prenons le projet Galiléo, qui permettait aux Européens de concurrencer les américains en matière de transmission des informations; comme toujours il fallait trouver l'argent privé : il n'est pas venu, c'est là qu'il fallait faire intervenir l'argent public ! C'est dans quelques jours que nous verrons, sur un sujet test comme celui-là si les Etats membres accepteront ce projet.
Quel avenir, quels objectifs pour la grande Europe (l'Europe à 27 puis 30) : la grande Europe, élargie je le souhaite aux pays de l'ex-Yougoslavie, devrait se contenter de 3 objectifs :
- consolider l'espace de paix et de compréhenson mutuelle ... et il y a du travail !
- s'assurer d'un cadre économique solidaire
- et encourager la diversité culturelle
Tous les autres projets : renforcement de l'union économique et monétaire, actions communes de développement, voire politique commune de l'énergie, il faut les faire dans une Europe plus resserrée, d'ailleurs c'est toujours ainsi que l'Europe a avancé. S'il avait fallu que les 15 soient d'accord pour faire Schengen, ce ne serait toujours pas fait, s'il avait fallu attendre l'accord de tous pour la monnaie unique, elle n'existerait pas ... Certains doivent pouvoir aller en avant sans gêner les autres. C'est la diversité qui permet d'avancer.
Le réalisme n'empêche pas l'idéal et la vision.