Parfois la vie disparaît derrière la montagne, comme le soleil ...

Publié le

Il s'appelait Roger.
Il avait 87 ans.
Une vie déjà abîmée à 20 ans par les Allemands, pour permettre à son papa de rester élever ses autres enfants...
De retour des camps, il pesait 30 kg et restait à jamais mutilé ...
La foudre n'eut pas raison de lui quelques dizaines d'années plus tard, mais accrut encore ses souffrances.
Son épouse est partie avant lui et c'est sa belle-soeur et son frère qui ont pris le relai quand il n'a plus été en mesure de demeurer seul chez lui.
Ils ont été à ses côtés semaines après semaines, mois après mois, années après années, pour maintenir brillant en lui ce qu'il restait de vie, réussissant toujours à accrocher son attention, même quelques instants, avec une anecdote, un souvenir, le tour de France, la pêche, les champignons, ces cèpes qu'il ramassait près d'Angoulême et qu'il aimait tant partager.
Ils ont été à ses côtés jusqu'à ce soir. Le dernier.
Il n'était pas seul.
Grâce à eux.

De lui, je garde beaucoup de souvenirs ... les taches qu'il se faisait toujours en mangeant et qui faisaient râler sa mère; les crêpes épaisses qu'il faisait sauter à la Chandeleur et dont j'avais une année fait une indigestion; les cadeaux qu'il ramenait de son entreprise : un baromètre en forme d'oeug, tout doré; et un porte-clefs qui servait de réserve de pièces de 10 francs; je me souviens qu'il était venu d'Angoulême à chez sa mère, un département plus loin, en vélo; et aussi qu'il me surnommait, toute petite, "pisse-menu" ...

Et surtout une leçon, que j'ai déjà enseignée à  mes enfants, bien avant aujourd'hui, notamment à mes aînés qui apprennent l'allemand au collège.
Moi, je n'avais pas pu apprendre l'allemand, ça aurait été mal vu à la maison.
Mon papa avait une voiture allemande, mon oncle lui interdisait de la garer devant sa maison quand j'étais petite. Il ne parlait jamais de ce qu'il avait subi en Allemagne, jamais. Mais il ne fallait pas non plus parler des Allemands.
Jusqu'à la fin des années 90.
Un jour que je lui rendais visite avec ma famille chez lui, il  nous a dit : "Pour moi c'est trop tard maintenant. Mais vous, faites l'Europe avec les Allemands, la guerre est finie, c'est le temps de la paix et de la construction d'un autre monde. Je les ai vus, les jeunes Allemands, à la télé, ils sont comme vous."
Jamais je n'oublierai le chemin parcouru en 20 ans par la pensée de cet homme simple, cruellement marqué dans sa chair par des bourreaux, et qui avait fini par penser au pardon. Au moins pour les générations prochaines.

Il s'appelait Roger.
C'était mon oncle.



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E
Merci Ashley, t'es mignonne. Je pense fort à toi aussi, alors ...
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A
Coucou Manue, je pense bien à toi (j'ai mis du temps à réagir, désolée, mais samedi je sortais moi aussi d'un enterrement et il ne me restait pas beaucoup de courage)Des bisous
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E
J'en posterai un autre mardi, qui sera lu par mon papa lors de ses funérailles.
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Y
Trés joli hommage.
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Y
Joli article ....Ne pas oublier les personnes qui vous ont touchées...Plus qu'un devoir.Zei gezint !
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