Continuons à découvrir Jean-Louis Fournier ...

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Dimanche dernier, je vous racontais ma lecture de "Il a jamais tué personne, mon papa" ...

 

Aujourd'hui, c'est de "Où on va, papa ?" (Stock), qui vient d'obtenir le Prix Fémina, que je veux vous entretenir ...

 

Deux fois le mot "papa", dans ces titres ... comme les deux fermoirs d'une même chaîne ... le début et la fin ... un père que l'on a eu, un père que l'on devient, et la nécessité de faire avec, quoi ... et de faire face ... chacun fait comme il peut ...

 

"Cher Mathieu, cher Thomas,
Quand vous étiez petits, j’ai eu quelquefois la tentation, à Noël, de vous offrir un livre, un Tintin par exemple. On aurait pu en parler ensemble après. Je connais bien Tintin, je les ai lus tous plusieurs fois.
Je ne l’ai jamais fait. Ce n’était pas la peine, vous ne saviez pas lire. Vous ne saurez jamais lire. Jusqu’à la fin, vos cadeaux de Noël seront des cubes ou des petites voitures…
"

"[..] je vais quand même vous offrir un livre. Un livre que j'ai écrit pour vous. Pour qu'on ne vous oublie pas, pour que vous ne soyez pas seulement une photo sur une carte d'invalidité. Pour écrire des choses que je n'ai jamais dites. Peut-être des remords. Je n'ai pas été un très bon père. Souvent je ne vous supportais pas, vous étiez difficile à aimer."

 

 

... voilà, en quelques mots, tout est dit.

 

Deux enfants "différents" sont échus à Jean-Louis Fournier.

 

Le reste, tout le reste de ce livre, c'est le regard sur ses enfants, sur ce que fut et qu'est encore pour l'un d'entre eux, l'existence; le regard d'un homme qui revendique le rire comme étant l'apanage des vrais pessimistes, de ceux à qui la vie a mis toutes les cartes en main pour réellement savoir, connaître, éprouver dans leur chair qu'elle était une vraie salope.

 

L'humour de Jean-Louis Fournier est noir bien sûr. Comme le fond de ce qu'il nous conte, de la vie à vivre avec "ces/ses" enfants différents, de la vie que vivent "ces/ses" enfants-là ... de la mort aussi ...

 

"Il y a aussi ceux qui disent : “l’enfant handicapé est un cadeau du Ciel”. Et ils ne le disent pas pour rire. Ce sont rarement des gens qui ont des enfants handicapés.

Quand on reçoit ce cadeau, on a envie de dire au Ciel : “Oh ! fallait pas…"

 

“Une opération sur la colonne vertébrale doit être tentée.

Elle est tentée, il est totalement redressé.

Trois jours plus tard, il meurt droit.

Finalement, l’opération qui devait lui permettre de voir le ciel a réussi.”

 

"Il n'avait pas faim. Il fallait une patience d'ange pour le faire manger, et souvent il vomissait sur l'ange."

 

"Cette nuit, au cours d'un rêve, j'ai rencontré mon père dans un bistrot. Je lui ai présenté mes enfants, il ne les a jamais connus, il est mort avant leur naissance.

 - Eh, papa, regarde.

- Qui c'est ?

- Ce sont tes petits-enfants, comment tu els trouves ?

- Pas terribles.

- C'est à cause de toi.

- Qu'est-ce que tu racontes ?

- A cause du Byrrh. Tu sais bien, quand les parnets boivent.

Il m'a tourné le dos et il a commandé un autre Byrrh."

 

"Thomas et Mathieu, eux, ne fument pas, ils ne sauraient pas, ils se droguent.

Chaque jour, on leur donne des tranquillisants pour les faire tenir tranquilles."

 

"Mes enfants n'ont jamais connu leur âge. Thomas continue à mâchouiller unvieux nounours, il ne sait pas qu'il est vieux, personne ne le lui a dit."

 

Achetez, lisez cet ouvrage, vous en sortirez grandis, comme l'image que, peut-être, Jean-Louis Fournier garde d'eux. Le rire efface la souffrance première et permet de voir au-delà, de donner une autre dimension ... 

 

Koztoujours, un de mes blogueurs favoris, a publié jeudi dernier une chronique sur cet ouvrage, sous laquelle j'ai commenté. Je vous engage à lire son témoignage à lui, celui d'un humaniste, d'un croyant, d'un homme, qui, d'ordinaire, tient des propos humains sur les problèmes des hommes, l'avortement, l'euthanasie, le handicap ... Mais, à la lecture de cet ouvrage de Jean-Louis Fournier, s'efface l'archétype de la réaction habituelle, celle d'un apitoiement mêlé de respect, que l'on a le plus souvent devant le handicap.

 

Devant Jean-Louis Fournier, on ne s'apitoie pas, et ce n'est pas le respect qui vient immédiatement à l'esprit. Jean-Louis Fournier joue sur un autre tableau. Et parle aussi le même langage que beaucoup de ceux qui ont été exposés à une souffrance, et qui ont choisi un certain type de réactions pour s'en sortir. C'est mon cas.

 

Je vous livre le commentaire que j'ai fait chez Koz. A vous d'enchaîner si cela vous inspire et si vous avez aimé cet ouvrage. Ou pas, d'ailleurs.

 

"Oui, Koz, l’écriture de Jean-Louis Fournier nous ramène juste à … la vie, telle qu’elle est … Je l’ai découvert il y a peu, moi, Jean-Louis Fournier, en tant qu’écrivain … je vis dans le Nord, pas très loin d’Arras, et une amie m’a dit qu’elle l’avait rencontré dans son collège, il y a des années, une rencontre écrivain-élèves … J’ai fait le lien avec celui dont je pensais qu’il était l’homonyme, le créateur d’Antivol et de La Noiraude, le comparse de Desproges … Jean-Louis Fournier, c’est un auteur que l’on découvre par le bout de la lorgnette qui nous concerne, en plus, je trouve … Toi, le croyant me semble-t-il, l’homme attaché à la valeur de la vie humaine, tu nous parles là du handicap, en acceptant de voir plus loin que les simples bons sentiments que l’on manie d’ordinaire … Moi je l’ai découvert par le sujet qui a pourri mon enfance, mon adolescence et qui a formé de travers ma vie d’adulte : l’alcoolisme d’un parent -lui son père, moi ma mère- … “Il a jamais tué personne, mon papa” paru en 1998. Ses mots sur ce sujet ont également ce fond de drôlerie, cette poésie relative tant ils paraissent légers et tant ils sont pourtant si lourds … des mots, à la lecture desquels, quand on est aussi concerné que lui, on rit très sincèrement, à gorge déployée tu sais, et avec un soulagement … tu ne peux même pas imaginer à quel point on se sent mieux après avoir lu et avoir ri, des choses pourtant si intolérables aux yeux de celui qui ne sait pas, dans sa chair, ce qu’elles représentent … Quelques phrases, qui m’ont suffisamment marquée pour que j’en fasse un billet, moi aussi, il y a deux semaines : “Un matin très tôt, maman est venue dans ma chambre, elle m’a dit : “Je crois que ton père est mort”. Je me souviens, j’ai dit : “Encore …” Je voulais pas me lever, j’étais fatigué, et je me suis enfoncé sous mes draps. Je l’avais vu déjà tellement de fois ivre mort, qu’entre un ivre mort et un vrai mort, je ne voyais pas la différence.” “”Un philanthrope nous quitte”. Je savais que mon papa était docteur, je ne savais pas qu’il était philanthrope. J’ai été regarder dans le dictionnaire. Ca voulait dire : “Personne qui est portée à aimer tous les hommes”. Peut-être que j’étais pas encore un homme ?” “Le jour de l’enterrement de papa, il faisait mauvais temps. Tout le monde était triste, surtout ses clients. Il y en avait beaucoup qui pleuraient. Nous, la famille, on pleurait pas. On n’avait pas eu la chance d’être ses clients”.

Depuis, j’ai lu aussi son “essai théologique” … tu devrais le lire, si tu ne l’as pas encore fait, et nous en parler, ça m’intéresserait d’avoir ton ressenti … ! Ce livre s’appelle “Satané dieu”, une petite centaine de pages, là encore, du condensé de bonheur."

 

 

Une chose est certaine, ma vie ne sera plus tout à fait la même maintenant que j'ai découvert Jean-Louis Fournier.

Assurément. Il contribue à vous remettre droit, à vous redonner la force de vous regarder, et celle de vous dire : "Voilà, c'était ma vie, je n'ai pas décidé de ce qui est arrivé, j'y ai fait face comme j'ai pu, c'est tout."

Et c'est beaucoup.
Merci ...

 

Les propos de Daniel Picouly, Jean-Marc Roberts et Jean-Louis Fournier, lors de l'attribution du Prix Fémina

 

Publié dans Lectures

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E
Dans un autre genre, ne pas oublier : "La grammaire française et impertinente" et "Les mots des riches, les mots des pauvres", à hurler de rire, lui aussi, et tellement vrai ... ! encore un Jean-louis Fournier que j'avais lu, ce dernier, sans même avoir conscience que c'était ce personnage-là qui l'avait écrit !
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L
Ce livre est bouleversant , déstabilisant...On passe du rire aux larmes en un quart de seconde...
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E
Je pense que tu ne devrais pas regretter. C'est un très grand ouvrage. Vraiment.
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D
J'ai profité de mon récent voyage à Paris pour l'acheter. Il semble donc que je ne regretterai pas cet achat.
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