11 novembre

Publié le

" Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains.

Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Petersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu’elle serait impossible et qu’elle paraîtrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens.

Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne.

Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées.

Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d’un grand sénat souverain qui sera à l’Europe ce que le parlement est à l’Angleterre, ce que la diète est à l’Allemagne, ce que l’assemblée législative est à la France ! (applaudissements)

Un jour viendra où l’on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd’hui un instrument de torture, en s’étonnant que cela ait pu être ! (rires et bravos)

Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis d’Amérique et les Etats-Unis d’Europe (applaudissements), placés face à face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies.

Et ce jour-là, il ne faudra pas quatre cents ans pour l’amener, car nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant d’évènements et d’idées le plus impétueux qui ait encore entraîné les peuples, et, à l’époque où nous sommes, une année fait parfois l’ouvrage d’un siècle.

Et Français, Anglais, Belges, Allemands, Russes, Slaves, Européens, qu’avons nous à faire pour arriver le plus tôt possible à ce grand jour ?

Nous aimer

Nous aimer ! Ce but sublime. Dans cette œuvre immense de la pacification.

Nous aimer ! Comme une torche qu’on secoue pour faire flamboyer l’avenir.

Grâce aux chemins de fer, l’Europe bientôt ne sera pas plus grande que ne l’était la France au Moyen-Âge ! Grâce aux navires à vapeur, on traverse aujourd’hui l’Océan plus aisément qu’on ne traversait autrefois la Méditerranée ! Avant peu, l’homme parcourra la terre comme les dieux d’Homère parcouraient le ciel. Encore quelques années, et le fil électrique de la concorde entourera le globe et étreindra le monde. Nous aurons ces grands Etats-Unis d’Europe, qui couronneront le vieux monde comme les Etats-Unis d’Amérique couronnent le nouveau.

Nous aurons l’esprit de conquête transfiguré en esprit de découverte ; nous aurons la généreuse fraternité des nations au lieu de la fraternité féroce des empereurs ; nous aurons :

  • la patrie sans la frontière,
  • le budget sans le parasitisme,
  • le commerce sans la douane,
  • l’éducation sans l’abrutissement,
  • la jeunesse sans la caserne,
  • le courage sans le combat,
  • la justice sans l’échafaud,
  • la vérité sans le dogme.

L’effroyable ligature de la civilisation sera défaite : l’isthme affreux qui sépare ces deux mers : Humanité et Félicité, sera coupé. Il y aura sur le monde un flot de lumière. Et qu’est-ce que c’est que toute cette lumière ? C’est la liberté. Et qu’est-ce que c’est que toute cette liberté ? C’est la paix. "

Victor Hugo, discours inaugural du Congrès de la Paix, 21 août 1849


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